Montorgueil, avec un tel nom, on se dit que ce quartier ne peut nier son inclinaison naturelle pour l’autosatisfaction ni le fait qu’il se pense supérieur aux autres depuis toujours ! Pourtant, ironie de l’histoire, il a été nommé ainsi non pas pour affirmer son excès d’amour propre mais bien par sarcasme.
LA GOUAILLE PARISIENNE
En effet au Moyen-Âge, les Parisiens entassaient leurs déchets au pied des remparts érigés par Charles V. Ils choisirent l’emplacement de la rue Montorgueil comme décharge à ciel ouvert. Un amas de détritus, immondices, boues de voiries, gravas et autres ordures en tous genres recouvrit progressivement le sol de ce quartier pour former une butte, que l’on surnomma ironiquement Mons Superbus, puis Mont-Orgueil…
La rue porte depuis le XIIIème siècle le nom du Mont Orgueilleux auquel elle conduisait. C’est également ici qu’arrivaient les produits de la pêche, notamment les huîtres, en provenance des ports du nord de la France. D’ailleurs le marché aux poissons, se tenait à deux pas, à l’emplacement de la rue Étienne Marcel. Viandes, volailles, blés, fruits, légumes, tout ce qui se mangeait se vendait aux portes de Paris. Aujourd’hui, seules les noms des rues gardent la mémoire des commerces exercés ici : rue des Prêcheurs, rue aux Ours (déformation de la rue aux « Oies »), rue de la Cossonnerie (marché de volaille et de gibiers au Moyen-Âge) mais aussi rue de la Verrerie, rue de la Ferronnerie ou la rue des Lombards (prêteurs sur gages et banquiers).
Au numéro 6 de la rue de la Ferronnerie il y a au sol une plaque commémorative rappelant qu’à cet endroit, le 14 mai 1610, Henri IV fut assassiné par Ravaillac.
LE PLUS INCROYABLE MAGASIN D’ALIMENTATION URBAIN
Pendant les huit siècles suivants, le quartier sera le ventre de Paris. Il nourrira la capitale et le pays. On y vend en gros et au détail tous les produits alimentaires ou reliés à la table.
Les premières halles furent construites en 1137 par Louis VI. En 1269, le roi Saint Louis y ajouta trois nouvelles halles, deux pour les drapiers et la troisième pour les merciers (les marchands) et les corroyeurs (les artisans du cuir). À partir du XVIème siècle, les halles se réorganisent. Sous l’impulsion de François 1er les premières halles sont démolies puis reconstruites sous forme de maisons avec, souvent, au rez-de-chaussée, des portiques ou galeries couvertes qu’on appelait « piliers des Halles ». Au centre de ces galeries à arcades se trouvait le « carreau », marché du pain, du beurre, du fromage et des œufs. Au XVIIIème siècle, la halle au blé est construite à l’emplacement de l’ancienne Bourse de Commerce. Le cimetière des Innocents, qui s’était effondré et dont les ossements avaient été transféré dans les catacombes, est réaménagé en marché aux fleurs, fruits et légumes, ce qui double la surface des halles.
En 1870, les halles se rationalisent et se modernisent. 10 nouveaux pavillons sont conçus par Victor Baltard et Felix Callet pour remplacer le carreau de la Halle, la Halle aux fruits, la Halle aux draps et toiles. Les rues de la Tonnellerie, de la Fromagerie, du Marché-aux-Poirées, de la Cordonnerie, de la Petite-Friperie, de la Grande-Friperie, Jean-de-Bauce, du Contrat-Social et la place du Légat elles aussi, disparaissent. Un siècle plus tard, l’asphyxie menace à nouveau le quartier. Les Halles doivent se déplacer ou mourir. Elles quittent le centre de Paris. Le déménagement du siècle a lieu entre le 27 février et le 1er mars 1969. Plus de 5 000 tonnes de marchandises, 1 500 camions et 20 000 personnes sont transférés à Rungis et à La Vilette.
Nouvelle urbanisation, ouverture d’une station de RER et d’un gigantesque forum de commerce et de loisirs inauguré en 1979, le quartier est révolutionné. Il n’est plus le ventre, il est désormais le cœur de Paris.
LA BELLE VIE, LA BONNE CHAIR
Pourtant, quelques rues d’irréductibles gourmets résistent et restent fidèles à leurs origines. La tradition perdure. Rue Montorgueil les commerces de bouche se transmettent de génération en génération. Au n°38, l’Escargot Montorgueil qui était la table favorite de Sacha Guitry, Marcel Proust ou même Salvador Dali régale les Parisiens depuis 1832.
Au 51 se trouve la Boulangerie-Pâtisserie Stohrer, la plus vieille de Paris, fondée par le pâtissier du roi Louis XV Nicolas Stohrer en 1730. Babas au rhum (une invention maison), puits d’amour, religieuses à l’ancienne, sublime bouchées à la reine… Ici vous dégustez le meilleur de la pâtisserie française à l’ancienne dans un somptueux décor signé Paul Baudry, décorateur de l’Opéra Garnier.
Au 78, Au Rocher de Cancale ouvert en 1848 alors que la rue n’était qu’une succession de traiteurs spécialisés dans la vente d’huîtres, on se régale toujours de fruits de mer et de poisson mais aussi de délicieuses compositions sucrées salées. L’immeuble, comme de nombreux autres dans la rue, est classé. Balzac aimait dit-on le fréquenter pour s’inspirer de sa clientèle. Le restaurant est d’ailleurs cité dans plusieurs de ses œuvres.
À Montorgueil, on n’est pas prêt de cesser de nourrir les esprits et les corps, ni d’ailleurs de se pourlécher les babines !
HYPE, SWAG ET AUTHENTIQUE
Au cœur du plus petit arrondissement parisien, la rue Montorgueil et celles qui la croisent forment le plus grand espace piéton de la capitale. Ce mini triangle d’or attire à lui toutes sortes de personnes. À midi les banquiers et les geeks des start ups qui travaillent à côté viennent s’y restaurer. La journée, les touristes et les habitués se partagent les trottoirs en toute courtoisie. En début de soirée, les terrasses accueillent les jeunes actifs venus se détendre et se retrouver autour d’un verre. La nuit, les bars et les restaurants font salle comble. Le weekend, les rues appartiennent aux couples avec poussette – pour les enfants c’est idéal -, aux vegans, aux sans gluten, à tous les adeptes de nourritures saines qui viennent ici faire leur marché. Parfois, les jours de Tournoi des Six Nations, il n’est pas rare de croiser quelques grappes de supporters Britanniques bien alcoolisés… En fait, tout le monde fréquente Montorgueil car s’il faut être privilégié pour s’y loger, il suffit d’être passionné de bonnes choses pour en profiter.